Yvon Le Men : poèmes
1er mai 2008
Ses mains
D’abord ses mains
surtout ses mains
comme celles de mon père
hier
et dont je sens encore le corps
quand elles pendaient
à vide et à ses bras
comme si elles attendaient
toujours
l’heure des outils
l’instant des baisers
quand elles serraient les manches
de pioche, de pelle
puis de râteau
pour que les chemins soient des routes
pour que le siècle change de siècle
quand elles ne pourraient plus se replier
sur elles mêmes et sur nous
quand leur douceur
ne serait plus que le souvenir
de leur douceur.
Des mains
que j’ai vu tomber d’un homme
aujourd’hui
et qu’il cachait derrière ses yeux
des mains
dont il ne savait plus que faire
depuis que son savoir-faire
n’était plus qu’un savoir
des mains
qui avaient appris à lire
l’alphabet des flammes
avaient oublié l’alphabet des mots
au pied des machines
des mots
qui lui manquent
aujourd’hui
pour dire la peur
d’avoir perdu les traces
de sa vie
sur le chemin de l’usine
qui vient de fermer.
Des mains
contre des mots
comme si demain
nous lisions notre dernier livre
notre dernier poème
comme si après demain
tous les livres allaient brûler
comme venait de brûler son métier
à jamais.