Proème
De cette fureur et de cette fièvre
De cette lutte implacable,
De ce vaste océan d’effort
Je voudrais tirer quelque quiétude,
Quelque intuition des dieux immuables.
Chaque jour je m’inquiète davantage,
Je vois cette forme austère qui m’échappe
J’assiste, impuissant, à mille misères,
Et toujours je reste muet.
Vivants sépulcres
Une nuit glaciale que les canons se taisaient
Le dos contre la tranchée,
Je m’inventais des haïkus
Sur la lune et les fleurs et la neige :
Mais la course spectrale de grands rats
Gorgés de chair humaine
M’emplit d’effroi.
Deux impressions (I)
Le matin incolore glisse
Au-dessus des marais et des arbres en bataille.
Malgré notre humeur sombre
Nos corps furieux de fatigue,
Ce duvet de lumière pâle,
Qui négligemment nous recouvre,
Nous enchante.
Insouciance
Je vais et je viens dans les tranchées tristes
Le pied lourd, le cœur léger, sous les étoiles
Je m’invente des petits poèmes
Délicats comme une volée de colombes.
Ils s’envolent comme des blanches colombes.
En avant-poste
Sous mon corps, l’herbe longue de l’automne
Inonde mes habits de rosée ;
Et, sous mes genoux, contre le sol,
Je sens la terre humide.
Dans mes narines, l’odeur de l’herbe broyée
Les pommes de pins mouillées,
L’écorce des arbres.
Entre les grands pins de bronze
Scintille le chemin argenté
Où d’interminables escadrons de chevaux bleu et argent
Arpentent en longues rangées les champs vides du paradis
Tout est silencieux
Le vent siffle doucement parmi les aiguilles de pin
L’aile d’un pinson frôle ma tête
Et gronde comme un orage lointain
Le cri perçant d’un moustique
Sonne haut et fort.
Je dois « tirer sur la colonne ennemie
Après son passage » –
Mais mon vieux fusil chargé à blanc
Reste au sol devant moi
Mes pensées poursuivent les nuages fluides
Et j’appelle doucement la mère de la beauté
Debout dans le genêt doré
Entre les pins bleus !