Poésie : Patrick Joquel
27 septembre 2006
UN CHUINTEMENT D’AIR (extraits)
De septembre 1997 à mai 1999, le mercredi matin, à 8h.30, j’entrais dans la Maison d’Arrêt de Grasse pour animer un double atelier d’écriture poétique : l’un avec les adultes, l’autre avec les mineurs. J’en ressortais à 11h.30.
Quelques années plus tard des moments, des visages, flottent encore et toujours dans ma mémoire, icebergs étincelants ; ces quinze poèmes en constituent comme les parties émergées...
1Au nordl’adret du doublieraltitudeAu sudla Méditerranéenoyée au soleilSais-tuque certains matins d’hiverdu miradoron aperçoit la CorseDevant toile mur bétonaltitudeSilence épaisSoulignéd’un chuintement d’airD’un jacassement de pieDevant toila porteLe verrou claqueDerrière toiça résonne
2Closes sur elles-mêmescomme autant de coffresdont on aurait égaré les trésorsles cellules se suspendentaux trousseaux de clefsdes gardiensLe cri des serruresétouffeun à unles motsLeur identité s’effilocheaux aspérités des chiffresEntre les mots et le poèmele choc sourd des verrousélectroniques
3Icirespirer déchire la langueElle s’accroche aux barreauxElle s’y suspendComme un lingeen l’absence de ventelle se tient muetteQuel poèmeoserpour donner formeà l’ombreetgrimperau plus haut du langageafin de renouer avec le sens
4Jour après jouridentiqueet toujours égal à lui mêmeun mur tourne autour de toiIl te râpeetlentementte transformeen sableChaque grain compte les jours[...]
7Dehorsle lièvre et le crapaudles pâquerettesla buse et le chant des chênestous ces petits bonheursen libertéLibrescomme flocons de marsFlocons légersqui fondent sur le sol de la prisonmouillent le goudronpuissuiventtranquillementles canalisations d’évacuation des eauxTu rêves d’être soluble
8Icile poème vit séparé de la terreAvec son désirdruentre ses testicules en berneson corps n’a plus aucun poidsmaisil est si lourd à coucher le soirque tout rêve a désertésa présence
9Sidans la bibliothèqueton regard ne s’ébréchait pasaux barreauxtu pourrais te croirevraimentVivantparmi le bruissement des voixet nonretranché dans l’attenteHésitantà tourner la page
10Tu te tiens à la lisière du motairTes yeux tremblentTu bégaiesTu voudraisfendrele silenceà la hacheTon regard s’attardeauprès d’un fragment de cielazurTu voudrais respirerà pleins poumons son eaumais il est trop vasteet les intervallesentre les barreauxtrop étroits[...]
13Que viens-tu faire icipetit poèmeComment es-tu entréEs-tu tombé du cielAs-tu sauté le murTu ne portes pas de numéro matriculeQui es-tupour marquer ainsile papier de ton empreinteEn toute impunité
14Par la fenêtre ouverteun papillon de nuit entreet te tient compagnieIl te raconte ses hauts volsla brûlure de l’espaceet la palpitation des cistes mauvesTu ne dis rientu écoutesTu apprends sa langueavec la patience de la chenille
15Il y a de la terre en toide l’arbre aussidu cieldu rocheret tant de lumière en toute saisonqu’aucune barrière n’aura raison de toiaussi longtempsque tu resteras fidèle à toi-même