Note de lecture de Temporel
24 avril 2019
Sophie Benech, Une Elégie du Nord D’Anne Akhmatova. Lormont ; Le Bord de l’Eau, 2018.
Sophie Benech, traductrice du russe, nous propose ce qu’elle annonce d’emblée comme une « réflexion concrète sur la traduction qui prend pour point de départ la juxtaposition de plusieurs versions françaises d’un même poème russe » (p. 7), à savoir la sixième « Elégie du Nord » d’Anna Akhmatova (Odessa, 1889 - Domodedovo, près de Moscou, 1966), poète russe majeur du vingtième siècle. La traductrice nous prévient : d’une part, le russe, langue flexionnelle sans articles, dont le verbe n’obéit pas aux mêmes règles qu’en français, est plus concis que notre langue ; d’autre part, Anne Akhmatova s’attardait aux « détails concerts et même triviaux qui deviennent les vecteurs d’une sensation, d’un sentiment, d’une idée » (p. 20). L’élégie n° 6 présente la mémoire comme une demeure en constante métamorphose. L’analyse des six traductions (de Jean-Luc Moreau, Michel Aucouturier, Jacques Burko, Jean-Louis Backès, Christian Mouze, Sophie Benech) permet à Sophie Benech d’offrir un commentaire très précis du poème. Au terme de cette étude détaillée, elle met en avant le fait que la traduction offre une réponse subjective à un poème. Chacun fait ses choix et plusieurs traductions valent mieux qu’une.
Cet ouvrage intéressera amateurs de poésie, spécialistes de la traduction et traducteurs.
Etudes Romain Rolland, Cahiers de Brèves, n° 42, janvier 2019.
Ce numéro de la revue de l’association Romain Rolland approfondit la question des amitiés et correspondances de Romain Rolland avec ses contemporains, tels Freud, Claudel, Jaurès, Péguy ou Gorki. Entre Proust et Rolland, on ne peut guère parler d’affinités, mais Marie Gaboriaud relève un intérêt pour Beethoven, différemment modulé et induit par l’époque.
Publication récente de l’association :
Romain Rolland, Voyages en Bourgogne (1913-1937). Textes édités par Bernard Duchatelet. Illustrés par Martine Liégeois. Dijon : Editions universitaires, 2019.
Les textes rassemblés sont des extraits, pour la plupart inédits, du Journal de Romain Roland, ayant trait à son pays natal. Ils sont illustrés de très belle photos, en couleur, de Martine Liégeois.
Alain Lacouchie, Une pierre, sans personne. Textes et encres. Colomiers : Encres Vives (486ème), 2019.
Il se nomme, en quatrième de couverture, « homme révolté ». Ce pourrait s’avérer suspect s’il se bornait à afficher son dégoût en se complaisant à sa révolte, ce qui n’est le cas, à mon sens. Alain Lacouchie s’insurge contre ce qui défigure la vie et la voue au désespoir. « La vie est fauve, volupté de l’aube », écrit-il, et il défie l’angoisse d’exister en s’en remettant à l’instant et son humble vérité.
Détester la vie et l’angoisse d’exister
nous déchire d’un temps à se perdre.
Et, si se promener n’était pas perdre
son temps, mais savourer l’instant ?
Une fois pour doute, ça dépend de la question !
Les poèmes sont accompagnés d’encres, qui présentent des personnages aux grands yeux médusés.
Joachim Sartorius, L’homme craint le temps, Le temps craint le poème. Traduit de l’allemand par Joël Vincent. Thonon-les-Bains : Alidades, 2018.
Ce poète allemand, né en Bavière en 1946, mais ayant séjourné dès l’enfance dans plusieurs pays, énonce, au début de son essai sur la poésie : « Les poèmes savent ce qu’ils font. » et tente d’élucider le rapport du poème au temps, rapportant le titre qu’il a choisi à une maxime égyptienne, inscrite sur le socle de la pyramide de Chéops : « Tout le monde craint le temps. Le temps craint la pyramide. » Citant de nombreux poètes, Joachim Sartorius tire la conclusion que le poème vise à « vaincre le temps ». Et pourtant, il énonçait, au début de ce bref essai, que ce même poème pouvait « donner forme » au temps.
Derrière cette conception d’un triomphe du poème sur le temps se profile l’antique dualisme occidental rejetant le temporel au nom de l’éternel sans considérer que la vie, dans sa substance, est devenir. Dans cette optique, le poème modèle le temps dont il naît.
Gérard Paris, Fragments (5). Illustrations de Laurence Izard. Dinant : Bleu d’encre, 2018.
Ces « fragments » se répartissent en trente et un chapitres où sont rassemblées des vignettes, telles que, au tout début : « Le connu (le formel) me dérange, l’inconnu (l’informel) me fascine... », ou bien en toute fin : « Monstres familiers : exhumation des douceurs et des violences... » Ce sont des noms, le plus souvent, qui silhouettent une figure ou une idée sur la page, un « ange au gilet rouge », par exemple. La juxtaposition suggère ensuite une analogie entre « désir » et « divin ». Et, à chaque fois, des points de suspension, de sorte que la suggestion en nous s’attarde et se poursuive.
Seymour Mayne, Wind and Wood, Words Sonnets. La Plata : Malisia Editorial, 2018.
Pour les amateurs de traductions multiples, ce recueil de sonnets d’un mot est traduit en français, en espagnol et en portugais.