L’arbre
Quand j’étais enfant, j’ai tué un arbre.
L’étrange ramure, au-dessus de nous, était emplie de ciel. D’un seul élan, me voici en haut du tronc ; elle s’emplit de moi.
Je bondis et m’accrochai, agile comme un singe au soleil, en pleine possession de la ramée.
Les jointures de mon corps se courbaient aux articulations du bois, et la rugueuse écorce me griffait les orteils.
A califourchon sur une branche, je frissonnai du frisson des feuilles.
Nos corps s’apaisèrent ; maison, pelouse et massifs de fleurs retombèrent comme vagues mourantes.
Le canif, aussi gros que mon poing, s’était mis à gratter le rameau.
Je songeai à Jimmy, aux poules d’eau, aux sauterelles, et au repas de midi.
J’enfonçai la lame, qui vibra et rebondit sur mon bras.
L’écorce dans mes mains était un serpent à écailles, chaud et palpitant.
Je retirai la lame, absorbé, et l’écorce se détacha.
La chair du bois joli était verte, puis blanche,
Moelleuse et humide. Ce tendre cœur fluet
Attira mon regard de pionnier, tant de fraîcheur par une telle chaleur.
Allais-je tout dénuder ? Le couteau accomplissait sa besogne.
L’œuvre avait atteint sa perfection avant, presque, que je me pose la question.
Parfaite, cette duveteuse blancheur, la neuve caresse du bois dépouillé.
J’arrachais l’enveloppe pour trouver la pulpe, là, ici, par-dessous, par-dessus, partout où je le pouvais, en tirant, ou bien par torsion.
Puis mes muscles se fatiguèrent ; je sortis du rêve. Sous le ciel je juchais mal à l’aise.
Un voisin de lancer tout à coup : « Tu vas le tuer ! » Il avait plus peur que moi.
Je rangeai le couteau et, maladroit, descendis péniblement de l’arbre.
Sur la pelouse je m’éloignai, et une ou deux fois, jetai un coup d’œil en arrière.
Quand j’étais enfant, j’ai tué un arbre.
Prenez garde à moi.