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Jean-Marc Simonnet, poèmes

20 avril 2013

par Jean-Marc Simonnet

Personnelle sidérurgie
et autres poèmes

Anne Mounic, Maison rouge. Gouache, 2012.


Personnelle sidérurgie


En parcourant mes estrans
J’y ramasse les laisses traînantes échouées de nuit
Accrochées à des pébroques
Emmêlées dans de grossiers nylons

Les plus fines
Collées de bulles d’écume
Sèchent ici sur la percale

Elles germeront
Emergeront des lentes et des calcites
Pour renouer de couleurs
Et faire mes encres et teintes

Rien n’est plus insistant qu’une marée revancharde
Qui reprend d’une vague ce qu’elle a poussé à nos pieds
Je hisse fissa mes collectes jusqu’à des baquets

Une branche écorcée polie à la varlope
Des écheveaux de brindilles toutes aussi lisses
La rémige d’un oiseau blanc maritime
Un os de seiche enfariné
Un pan de cabas de paille sali de sable et d’algues
Toujours des crins enchevêtrés autour d’un hameçon triple

Les choses les plus denses ont migré depuis les fosses hadales
Les autres sont venues avec leur âme de liège

*

Poésie
Marteau magnifique

Faces coriaces des pavés fossiles
J’en brise les gangues empilées chez moi
Les blocs fendus d’eau salée
S’ouvrent en creux sur des surprises

Tourbe trop longtemps imbibée
Eponge gorgée qu’il faut tordre
Fond d’une loque enflée
Flanc de besace bavant la boue
Parfois une porcelaine
Rares sont les perles

Tout cela forme une sacrée pyramide
Un terril au cœur thermique que j’excave de long en large

Un magma sourd vers mes moules à lingots
Matière à une métallurgie des agrégats
Où j’exerce comme grand dinandier
Faiseur de scintillances
A partir de si peu de nacre

La tentation de creuser sous un lac

Ce lac ne me va pas comme un gant
Sa profondeur m’oblige à me mettre sur la pointe des pieds pour en toucher la surface
Son étendue me force à écarteler les bras pour atteindre deux de ses rives
Son voile clapote perpétuellement et m’éclabousse même loin
Sa froidure s’attaque à chacune de mes cellules en contact avec ses eaux glacées
Ses couleurs fluctuantes me contraignent à changer sans cesse de vêture pour être dans ses tons
Ses bruits grinçants me pincent les doigts entre ses planches d’embarcadère
Son goût limoneux me donne des haut-le-cœur
Son odeur de roselières m’irrite les muqueuses

Pour tous ces sa son son sa ses ses son son
Ce lac a des côtés déplaisants

La profondeur d’un lac doit correspondre à l’idée que l’on s’en fait devant une vue du site
Si son étendue déborde de la légende ce n’est pas la peine
Il faut que sa surface soit aussi plane que son image
Que sa température respecte celle des corps qui s’y immergent
Ses couleurs ont tout intérêt à rester stables et compatibles avec le visiteur
Qu’il filtre ses sons émis pour n’importuner personne
Il est tenu de purifier son eau avant dégustation
Son odeur désagréable mérite un traitement de fond approprié

Malgré ces recommandations
Ce lac persiste à se montrer peu recommandable
Je n’aimerais pas y vivre

Pas dans ses entrailles en endossant un habit d’omble
Ou dans le nid du majestueux oiseau qui peuple ses berges
Avec son long cou blanc recouvert de plumes blanches
Pas sous forme du héron autochtone
Sur les échasses fixes d’un village lacustre
Ni sur un radeau de roseaux dérivants

Ce lac n’a rien de séduisant
Ni le soyeux amniotique de l’œuf de sandre
Ni la liqueur du pelage près d’une mamelle

Cette configuration ne correspond pas à ce qui avait été prévu

Les cygnes domestiques font d’excellents auxiliaires
En abaissant leurs becs clémentine
On s’attend à découvrir un escalier soudé descendant à un bel hypogée
Une trappe végétale doit révéler une échelle métallique qui mène à ce cénotaphe
Il n’en est rien

Cette excavation figure sur le plan du site
Elle est assez vaste pour y abriter des vestiges de taille
Tous les objets personnifiant qu’une vie répugne à abandonner à l’air libre
Pour ne pas les laisser s’oxyder sur un dépotoir
A côté d’autres bennés à la va-vite pour cause d’indifférence

Sans accès à cette chambre le lac peut fondre comme
Neige au soleil
Peau de chagrin
A vue d’œil
Et filer mauvais coton à tombeau ouvert entre les doigts

Il est hasardeux de quitter une surface plane pour une sphère creuse
De préférer la vraisemblance d’une niche à un lac authentique
Et de penser s’affranchir aisément de l’aquadrature du cercle

Par précaution
Inutile de poursuivre les recherches
De se risquer à une incursion dans une contrée infernale
Avec ce reliquat d’appétit de vivre que nous trouvons sur le trajet
Plutôt continuer de creuser son propre souterrain

Humain tunnelier
Laisse battre tes roues dentées en pente douce
Tes ongles pulvériser les roches en tout-venant
Saute les veines croisées qui s’étranglent
Le pur filon est ici tout de suite
Au plus tard là juste après
Aux flancs du grand synclinal

Le lac imperturbable continue sa vie réglée
Se retournant périodiquement sur lui-même dans sa cuve
Assurant de sa densité l’appui des palmes et des nageoires pour ce qui s’agite au-dessus et dedans
S’opposant de bas en haut au volume de notre barque déplacée

Tout mouvement garde ainsi une aisance naturelle

*

Pluie sur lac
Guy Braun, Regards. Huile sur toile.

La pluie attaque les papillons jusque dans l’épaisseur de l’eau

Dispersés sur l’instant
Leurs vols d’orients se reforment aux mêmes endroits
Reflétant le message argentique du soleil continuel

Le ciel connaît son sujet
D’une palette réduite il chrome tout de touches de gris

Aujourd’hui
Pas de lâcher de chenilles sanguines
Mais une rythmique en cercles d’alumine
Dont les motifs modèlent l’étendue et font mouche

Bâche instable posée sur la houle
Vaste tissu de vagues aux multiples amplitudes
Housse d’ondes jetée entre des dossiers de falaises
Une toile agitée grouillante de piérides épinglées

L’averse colle leurs ailes sémaphores
Les piège sous des demi-bulles
Dont ils réchappent en implosant

Dans ses grands jours elle abreuve les alentours à coups de ruissellements
Trempe les pigments de l’azuré
Rince quatre iris au paon du jour

Elle monte bruyamment ses barnums sans se soucier de la quiétude de l’espace
Le secoue frénétique
En fait voler les poudres et va les délaver

La pluie a l’avantage de la parole
Quand la moindre goutte fait vibrer une surface
La lumière n’a pas voix au chapitre
Qu’elle verse ses jaunes à grands traits
Ou plante une forêt de pailles
Ses jets ses phares restent inaudibles
Equipés de silencieux
Ses fanaux filent mutiques
De l’impulsion jusqu’à l’impact

Il vase par trombes
A écaler n’importe quelle tête qui se risque
La baigner dans un diaporama de brandons blancs

Pour modifier ce paysage macéré
Il suffit d’un jeu de poulies
De tirer sur un câble
Pour hisser l’écran d’une nuit étoilée

*

Orpaillage à ciel ouvert

De l’or en paille
Au vu et au su du flâneur doté d’un flair indéfectible
Qui
D’une fourchée plantureuse
Entame la motte
Et l’enfourne dans sa poche

Des gerbes d’épis précieux à l’air libre
Exposées au randonneur
Qui
A pas fébriles
S’en rapproche intrigué
Pour en bourrer son sac à dos

Un tas de lingots au centre de la cour
Offert au quidam déambulateur
Flâneur promeneur
Qui
A l’aide d’une brouette
Emporte son butin
Vers ses cieux

Un trésor à tous les vents
Une choucroute vermeille
Fumante sur un terrain dégagé
Où grattent des poules
Disséminant des paillettes dans un lent tourbillon


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