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Gérard Bocholier, par Nelly Carnet

26 avril 2014

par Nelly Carnet

Gérard Bocholier, Le village emporté. Jégun : L’Arrière-Pays, 2013.

Fils de vigneron, Gérard Bocholier fait entrer la terre dans ses brèves proses formant un damier de ceps de vigne. Des tableaux se succèdent issus d’une mémoire où les disparus et les conditions de vie rustique et élémentaire sont venus se nicher pour être réveillés quelques années plus tard alors que la modernité a pris le pas sur tout. A l’ère de l’informatique et du cybermonde, le lecteur croirait retourner vivre dans l’Antiquité, à moins qu’il ne se souvienne lui aussi…
Chaque geste de l’écrivain rejoint en quelque sorte celui du vendangeur tout en rappelant celui des ancêtres. Dans le détail, nous reconnaissons la corvée de la vendange se mêlant à la joie que peut offrir la couleur du futur jus coulant du pressoir. Du ramassage à la fermentation, l’écriture suit les lignes de la mémoire et du terroir.
L’écrivain redevient cet enfant observateur des scènes quotidiennes. Le travail semble d’un autre temps, sauvé par quelques rescapés de la modernité porteurs d’une tradition avec pour seule force des mains et un corps tendu vers l’ouvrage. A propos de son père, Gérard Bocholier écrit : « Je le regarde s’essuyer, vainqueur d’un combat de titan ou comme lorsque le dragon à haleine de soufre guette le point faible du héros. »
Des médaillons littéraires apparaissent autour de portraits de personnes vivant dans la plus grande vétusté comme celui de ce couple d’inséparables « couchés avec les poules » car « leur maisonnette blanche » n’a pas d’électricité. D’autres tableaux s’inscrivent dans une certaine mélancolie, mélancolie qui brille, celle qui fait exister les choses dans une atmosphère d’automne ou de fin de siècle. Sous leur pleine lumière comme sous leur lent retrait dans l’endormissement, les paysages du Puy deviennent émouvants par la simple mise en mouvement de l’existant. Chaque texte demeure un médaillon à l’effigie d’une parcelle de vie remémorée, des simples joies aux plus grandes douleurs.

Gérard Bocholier, Psaumes de l’espérance. Paris : Editions AD Solem, 2012.

Le recueil Psaumes de l’espérance représente le deuxième pan d’un triptyque dans l’œuvre de Gérard Bocholier dont chaque texte se retrouve systématiquement composé de deux quatrains, deux colonnes où « le temporel » côtoie « l’éternel » et « le visible » « l’invisible ». La page donne à entendre une voix humaine accueillant la voix divine. Le psaume est un « prélude lyrique de la prière » prononcé par un « je » dénué de toute subjectivité et cherchant au bout du chemin une ouverture, une lumière « pour un autre que soi ». « J’ai joint les mains pour garder / La toute petite flamme / Que confondent les orages / Avec la frêle espérance // Mais je sais bien que c’est Toi / Qui places cette semence / En moi de l’éternité / Qui va bientôt tout brûler ».
Rien de certain dans le geste précaire de la « parole ». Ce geste qui recueille, rassemble, retient, diffuse, est aussi celui est le plus aléatoire s’agit d’inscrire tout l’ineffable de l’existence. C’est pourquoi Gérard Bocholier se place en spectateur prudent, soucieux de la moindre manifestation d’un ravissement venu d’ailleurs. Mais n’est-ce pas tout simplement une aptitude de l’âme humaine à émerveiller le monde, à capter la joie d’un événement qui ravit ? Cela suppose l’ « acquiescement de l’âme / où veut s’engouffrer [la] vie ». La présence qui éclaire les journées du poète prend la forme d’un grand « Toi ».
Ecrire des psaumes signifie pour Bocholier ne s’ « occuper que de l’essentiel » ainsi qu’il s’en explique dans son après-écrire. Il s’est rendu disponible, accueillant et « inconnu » à lui-même, autrement dit possédé par cette autre chose qui conduit la main des poètes s’oubliant eux-mêmes et se sentant soudain étrangers lorsqu’ils relisent les sédiments déposés sur la page. Les mots viennent matérialiser cette divinité englobante. Elle est source, lumière, éternité dans la simplicité de la langue. « Je cherche les interstices / Où vient luire ta présence / L’entaille du chant du merle / Dans l’air saturé d’orage ». Le temps poétique est aussi « le temps de l’âme », suspens, plénitude, élévation mais également inquiétude et souci. Un voile se lève. Une brume se dissipe, une poussière se disperse dans un espace ouvert.
L’image christique ou ses références sont toujours présentes en filigrane ou de manière plus explicite. « Du sans sur les clous des fibres » (…) / Ta croix comme un incendie ». « Les psaumes ne sont que d’incessantes variations, d’abord peut-être au sens musical, d’un seul et même chant, reprises des thèmes les plus anciens et les plus sacrés, (…) ». Dans la foi, notre auteur parvient à trouver un sens à sa vie et tente en retour de le transfuser à ses lecteurs afin de leur livrer un chemin, « le bon chemin de l’orée / De la forêt où tu veilles ».
Un lyrisme issu du divin contamine la vision d’une campagne cultivée. La langue vient la transcrire dans la simplicité, l’émotion, l’émerveillement de la vie et son mouvement mais également le regret d’un monde d’antan achevé et oublié. « Le maître est sorti semer / L’immense plaie frissonne / S’y inscrivent les années / Les traits d’orage et d’usure // Le vent rappelle au plus sombre / Beaucoup de grâces perdues / Il est tard je vois grandir / Dans l’or celui qui moissonne. »
Dans l’espace mental et imaginaire de Gérard Bocholier, le mouvement de la nature est véritablement perçu comme une manifestation divine : « La voix de la mer qui monte / Me fait songer à ta grâce / toujours si puissante et proche / Et qui jamais ne s’impose ».


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