Clemens Brentano, poèmes, traduits par Nicolas Class
20 avril 2013
Es ist ein Schnitter… Es ist ein Schnitter, der heißt Tod, Er mäht das Korn, wenn’s Gott gebot ; Schon wetzt er die Sense, Daß schneidend sie glänze, Bald wird er dich schneiden, Du mußt es nur leiden ; Mußt in den Erntekranz hinein, Hüte dich, schöns Blümelein ! Was heut noch frisch und blühend steht Viel hunderttausend ohne Zahl, Du himmelfarben Ehrenpreis, Du farbentrunkner Tulpenflor, Du stolzer, blauer Rittersporn, Lieb Denkeli, Vergißmeinnicht, Des Frühlings Schatz und Waffensaal, Des Maies Brautschmuck auf der Au, Ihr samtnen Rosen-Miederlein, Herz, tröste dich, schon kömmt die Zeit, O heimlich Weh, halt dich bereit ! Ihr Bienlein, ziehet aus dem Feld, O Stern und Blume, Geist und Kleid, Was reif in diesen Zeilen steht… | ![]() |
Il est un faucheur… Il est un faucheur, c’est la mort, Il fait les foins quand Dieu le veut ; Vois-le fourbir sa faux, Qu’elle brille en fauchant, Car bientôt il te fauche, Et tu le dois souffrir ; Tu composeras sa couronne, Garde-toi, belle fleurette ! Ce qui fleurit en ce jour d’hui, Nombres infinis, mille et cent, Et toi, véronique azurée, Tulipes des champs colorés, Ô pied-d’alouette orgueilleux, Ne-m’oublie-pas, douce pensée, Arme et trésor du vert printemps, Joyau prairial du beau mai, Corselets veloutés des roses, Conforte-toi, mon cœur, le temps Ô peine intime, apprête-toi ! Avettes, laissez là les champs, Ô étoile et fleur, souffle et chair, Ce qui a mûri… |
Une signature poétique
Les deux « Chants des moissons » de Brentano
Brentano s’est toujours défié de la publication de ses poèmes. D’abord, parce qu’il les considérait comme des épanchements trop intimes pour être divulgués. Ensuite, parce que sa conversion l’a détourné de penser beaucoup de bien de ces divertissements profanes qui ne lui rappelaient que trop sa jeunesse dissolue.
Si malgré tout il fallait les faire paraître, ce devait être dans les lettres adressées à ces quelques personnes qu’il aimait véritablement et dont il savait qu’elles le comprendraient.
Ou alors, puisque c’était la mode littéraire de l’époque, les insérer dans un roman ou une pièce de théâtre, de sorte à ce que fût reporté sur les personnages de la fiction ou du drame ce qui s’y trouvait exprimé, comme si les doubles de l’auteur lui eussent permis de s’avouer sans avoir à s’exhiber, ou de se dire sans avoir à se confesser, et constituaient pour lui autant de manières de s’avancer masqué, ce qui reste toujours la meilleure façon de se révéler.
Cette ambivalence ne se réduirait-elle pas à une coquetterie d’artitste ? Il ne serait que trop aisé de tirer une telle conclusion. Sans doute, le caractère versatile et fantasque du poète n’a-t-il pas vraiment contribué à donner une autre image de sa personne et de son art, choses que l’on confond toujours un peu rapidement.
Mais il y a plus, dans les tergiversations de Brentano, qu’une incertitude quant à la portée de son art. Son œuvre lyrique repose sur une poétique de la répétition et de la variation qui reste réfractaire à la recherche forcenée de l’originalité comme à l’affirmation péremptoire de la propriété intellectuelle. C’est tout le problème posé par la publication du Cor merveilleux de l’enfant. Le poète aurait eu, selon ses détracteurs, l’outrecuidance de faire passer pour de vieilles poésies populaires allemandes des œuvres de sa propre composition ou, pire encore, d’avoir repris tels quels les auteurs baroques, dont on savait qu’il s’était constitué une conséquente bibliothèque où il n’avait qu’à piocher.
Assurément, Brentano, qui plus encore que son ami Arnim est le maître d’œuvre de l’entreprise, a recopié, arrangé, remanié, réécrit, recomposé et réinventé les poèmes de ce recueil, mais les modèles qu’il reprenait ainsi n’en étaient pas moins attestés. La mauvaise foi de ses détracteurs est somme toute transparente. Le principal d’entre eux, Johann Heinrich Voss, s’était d’ailleurs rendu célèbre par ses traductions d’Homère et ses idylles reprenaient autant les modèles grecs et latins que les chansons de Brentano les modèles populaires et baroques. Un dernier avatar de la querelle des Anciens et des Modernes ? Ou une lutte pour la précellence entre un auteur à succès et des auteurs prétendant au succès à une époque où la littérature tombe définitivement sous la coupe de l’économie, à défaut d’être déjà une industrie ?
Il n’est donc pas anodin que, republiant à la fin de sa vie ce qu’il estime être l’une de ses œuvres emblématiques, le conte Hinkel, Gockel et Gackeleia, Brentano ait choisi d’y insérer deux poèmes qu’il évoque plusieurs fois sous l’appellation de « Chants des moissons » et dont la composition était ancienne. Le premier consiste en effet dans la reprise, la variation et l’amplification d’une authentique poésie populaire, dont une première réécriture avait d’ailleurs paru dans le Cor merveilleux, alors que le second s’avère être une création originale qui reprend l’esprit, la thématique et le ton de la poésie populaire ayant servi de modèle au premier. C’est ainsi à une sorte de signature poétique qu’il semble se livrer, par laquelle il s’efforce de signifier autant son génie poétique que ses convictions religieuses, à travers une virtuosité proprement musicale comme par la reprise d’une imagerie bien connue pour évoquer la vie, la mort et l’au-delà, tels que notre condition nous force à les appréhender. Il devenait possible de reconnaître la valeur de sa poésie et de composer la couronne du poète, ce que sa sœur Bettine fera l’année même où il devait entrer dans l’éternité.