Chantal Dupuy-Dunier
1er mai 2008
Chantal Dupuy-Dunier, Creusement de Cronce. Encres de Michèle Dadolle. Montélimar : Voix d’Encre, 2007.
Sous ce titre allitératif râpeux, en exergue deux vers d’Yves Bonnefoy, il nous est donné de lire une méditation sur le nom du village de Cronce, dans la Haute-Loire, où demeure le poète. A l’imparfait, l’évocation des gestes usuels dans le village de jadis alterne avec le présent des descriptions – de rapides esquisses – qui nous mène vers ce moment, au futur, où se prédit l’avenir des signes que le lichen dépose sur le roc :
« Les lichens,
leur écriture niellée sur le flanc des rochers ;
Elle sera lue par les orages
attentifs à révéler le livre minéral. »
Les poèmes brefs qui composent ce recueil se composent de phrases qui ont leur musique, ainsi qu’une sorte de solennité hiératique. Nous sommes là, fort heureusement, loin du fâcheux penchant actuel à la nominalisation outrancière. La diction est précise. Le poète nomme les choses de ce monde, mais se tient en retrait de ce qu’il nomme « signifié » qui ne « fait que défiler ». Il maintient avec ces choses la distance que requiert le regard, qui s’accorde avec celle qu’impose le passé. Ce sont des signes que Chantal Dupuy-Dunier tente de déchiffrer :
« L’encre cronciale
révélera les signes. »
En cette extériorité, le poème invente :
« nous disons Cronce
et nous inventons Cronce.
Nous l’inventons poésie,
à la croisée des sons et du verbe. »
La démarche, intellectuelle, nous fait effleurer le paradoxe de Valéry, cette fameuse hésitation du poème entre le son et le sens. Et si le « sens de la vie » se résorbe dans la « possibilité même du langage », alors surgit le « non-sens », qui est l’écriture elle-même :
« Le sens de la vie
se cache derrière la possibilité même du langage.
Pouvoir exprimer jusqu’au non-sens
et transmettre aux autres
la découverte de ce non-sens. »
En cette perspective dédoublée, statique, le point de vue me semble s’inverser : « Seul ce qui, en l’homme, est capable de nommer approche l’être. »
J’écrirais plutôt que l’être jaillit à chaque fois que nous parvenons à dire la vie qui s’éprouve en nous, à chaque fois que, de notre rythme intérieur, nous faisons monter un poème. La démarche est aveugle et profondément une ; elle transcende la distance qu’impose le regard qui ne s’engage pas. L’émotion intérieure peut alors irriguer de son élan l’extériorité. Le sens réside dans l’acte de manifester ce qui serait autrement demeuré inconnu. C’est là l’enchantement – le fait de se sentir vivant, ce qui rend sans portée cette notion de « non-sens ». Et nous ne sommes pas « les derniers ». La vie, que le discours poétique en son rythme manifeste, s’inscrit dans le devenir et irrigue tout le sens du poème. Il n’y a pas dualité, mais unité d’être, dans l’élan de dire, qui est le sens même de notre être.
Les encres de Michèle Dadolle ponctuent le recueil de leurs jeux de lumière.