Alphonse de Lamartine
1er février 2006
« L’Esprit de Dieu » (1821-22), Nouvelles Méditations poétiques (1823).
Alphonse de Lamartine(1790-1869)
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(Lamartine, Méditations poétiques, Nouvelles méditations poétiques. Édition de Marius-François Guyard. Paris : Poésie Gallimard, 1981, pp. 126-128.) |
Dans ce poème, composé de dix dizains de forme (ababccdeed) classique (dont nous ne présentons ici que l’extrait qui nous intéresse, ou les six dernières strophes), la lutte de « l’antique berger » de Jéthro (erreur pour Laban, beau-père de Jacob) se présente comme rencontre de l’être mortel avec la transcendance. La présence divine sanctifie le lieu (le poète parle de « saint lieu » à la strophe 4). Celle-ci se présente d’abord comme « mystérieux étranger », graduellement perçu par le pâle scintillement de ses yeux, le bruit de ses pas, sa silhouette de colère et l’écho de sa respiration, alternance de perception visuelle et auditive, de l’image et du rythme.
Le combat est ensuite décrit de façon réaliste, pourrait-on dire. Dans la strophe 6 (« Dans un formidable silence... »), unité et dédoublement s’équilibrent. Le pluriel (vers 2) se détache de l’unité (vers 1) : la consonne m apparaît d’ailleurs au milieu (quatrième syllabe) de l’octosyllabe pour se faire écho à elle-même au vers suivant : « Ils se mesurent un moment ». Sur cette multiplication allitérative se distinguent deux figures qui s’unissent dans l’étreinte du combat en un jeu sonore identique (« un même emportement »). Le pluriel qui les unit (« leurs bras ») se dédouble (« leurs fronts », « leurs membres »), puis se réverbère en cette thématique du double, actif et passif confondus, qui accompagne nécessairement le motif : « Leurs flancs pressent leurs flancs pressés ». De deux, ils se font un, au singulier, comme le chêne de Philémon et Baucis (qui est étreinte amoureuse, étreinte de la mémoire également), deux arbres (« leurs genoux entrelacés ») noués en un seul :
« Comme un chêne qu’on déracineLeur tronc se balance et s’inclineSur leurs genoux entrelacés ! »
Ce même mouvement d’oscillation anime la strophe suivante : la chute de l’un entraîne celle de l’autre ; la défaite de l’un se fait défaite de l’autre, leur victoire à tous deux, puisque la situation se renverse, d’une strophe à l’autre : la suivante débute par la conjonction de coordination de concession : « Mais ». Le « mystérieux étranger », dans la strophe qui précède, s’est métamorphosé en « ange renversé », puis en « combattant des cieux » ; après le « mais », il devient « lutteur », « céleste ennemi », « rival » et enfin « esprit du Seigneur » une fois que la lutte a trouvé son écho cosmique :
« Enfin, depuis les heures sombresOù le soir lutte avec les ombres »
Le balancement se marque à nouveau au vers suivant : « Tantôt vaincu, tantôt vainqueur ». Les « ombres » deviennent « ombres du doute ».
A la « lutte insensée », le poète préfère la soumission au souffle divin, ou inspiration. On passe en quelque sorte de l’étreinte agonistique à l’étreinte mystique.