Le rythme de la marche :
Le sujet est vaste. Il recouvre la question du poème, de l’œuvre ou de la connaissance, en ses dimensions ontologiques et existentielles. « Ces invites de l’horizon, ces lueurs qui s’avivent et qui se brouillent tout ensemble, comme elles exhortent le marcheur à ne pas souscrire au rituel impassible de la nécessité ! » écrit Claude Esteban (Critique de la raison poétique, p. 54) Celui qui marche échappe à l’enfermement, à l’emprisonnement, à la cage, comme le dit Nietzsche. Il (...)
[Henri Meschonnic nous a confié ce texte en réponse à une série de questions concernant sa poésie, sa poétique, son activité critique et son œuvre de traducteur de la Bible. Les questions se laissant deviner à travers les réponses, nous ne les reproduisons pas ici.]
Il y a une amitié dans les questions qu’on pose, parce qu’il y a du dialogue dans les questions. Et comme ce sont des questions non sur la poésie en général ou la traduction en général, mais sur ma pratique, mon expérience du poème, du (...)
La marche
Kenneth White est un grand marcheur. Après avoir cheminé dans son enfance et son adolescence sur le rivage et l’arrière-pays de la petite ville côtière de Fairlie, au sud de Glasgow, étudiant à Glasgow il abattait régulièrement les quelque quarante kilomètres qui le séparaient de la côte De 1967 à 1983, résidant à Pau, il a marché dans les Pyrénées. Plus tard il a fréquenté les sentiers des douaniers des Côtes d’Armor, où il s’est installé en 1983. Sa marche en ces lieux, mais aussi sa fréquentation (...)
Altérité et langue originelle : le poème
Entretien avec Michael Edwards à propos de Rivage mobile
Poèmes en anglais et français (Paris : Arfuyen, 2003)
Michael Edwards, professeur au Collège de France, a consacré, comme critique littéraire, de nombreux ouvrages à la poésie française et anglaise et à leurs rapports. Nous songeons à Racine et Shakespeare (Paris : P.U.F., 2004), Terre de poésie (Montpellier : Espaces 34, 2003), Leçons de poésie (Paris : P.U.F., 2001) et à sa dernière étude : Le Génie (...)
Le rythme de la marche et celui de la parole affirment aussi leur complicité dans la poésie japonaise. Que l’on songe à Bashô, nom de plume, qui veut dire « bananier », de Matsuo Kinsaku (1644-1694) et à ses pèlerinages poétiques, son premier journal de voyage s’intitulant « Exposé au vent et à la pluie ». Si la poésie consiste en « l’interpénétration de l’éternel et de l’éphémère », selon les termes d’Hervé Collet (Bashô, p. 11), telle que ce haïku l’illustre :
« le vieil étang
d’une grenouille qui plonge (...)
A plusieurs reprises, dans les Confessions, Rousseau (1712-1778) confie au lecteur le grand plaisir qu’il éprouve à marcher. Lors du voyage d’Annecy à Turin avec M. et Mme Sabran, il écrit (C I, Livre II, p. 88) : « Ce souvenir m’a laissé le goût le plus vif pour tout ce qui s’y rapporte, surtout pour les montagnes et pour les voyages pédestres. Je n’ai voyagé à pied que dans mes beaux jours, et toujours avec délices. Bientôt les devoirs, les affaires, un bagage à porter m’ont forcé de faire le monsieur et (...)
Nietzsche (1844-1900) affirme, dans Le gai savoir (p. 421), ouvrage du mieux-être, de la « guérison » (Colli, p. 77), le lien de la joie et de la connaissance, présentée comme aventure épique, qui n’échappe pas, malgré tout, au dégoût faustien : « Et maintenant, après avoir été ainsi longtemps en chemin, nous, les Argonautes de l’Idéal, plus courageux peut-être que ne l’exigerait la prudence, souvent naufragés et abîmés, mais en meilleure santé que l’on ne voudrait nous le permettre, dangereusement bien (...)
La marche de l’ « opéra fabuleux », apostille sur l’inspiration poétique.
« Rimbaud, ce marcheur forcené… » (Paul Claudel, Journal, T. 1, p.226 )
« Ainsi donc, encore une fois, voici l’Ombre du grand vagabond… » (Paul Claudel, Œuvres en prose, p.521)
« Piéton de toutes les routes vers le désert… » (Paul Claudel, Œuvre poétique, p.512)
Paul Claudel. On attendrait peut-être sous ce nom une longue suite de malentendus –après tout, l’Histoire littéraire est cette longue suite de malentendus, car elle (...)
Robert Graves : « Dans les champs, aux côtés / De notre colonne au pas pesant marchent les morts. »
Version française
La marche revêt une grande importance dans la poésie de Robert Graves (1895-1985) ainsi que le rythme, rythme du poème, mais aussi poétique du rythme comme conciliation des contraires dans le temps cyclique. Ce poème, dont Dunstan Ward a choisi de nous parler, fut écrit pendant la Première guerre mondiale, en 1917.
NIGHT MARCH
Evening : beneath tall poplar trees (...)
“Why are we marching ?”
“Night March” by Robert Graves
Version française On hearing Robert Graves read ‘Night March’ in December 1917, his friend and fellow-poet Siegfried Sassoon described it as ‘a wonderful thing’ – his most sustained effort’ (letter to Edward Marsh, 22 Dec. 1917). The poem movingly expresses the love that Graves felt for the Royal Welch Fusiliers. When he volunteered at the age of 19, a week after Britain declared war, he ‘quite blindly’ chose this regiment (Goodbye to All (...)
Rythme de la marche et réversibilité du temps
L’auteur du Petit traité de la marche en plaine (1932, seconde édition, 1950) cite Rousseau en exergue de son poème en prose qui est une méditation sur le sens existentiel et ontologique de la marche. « Jamais je n’ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi, si j’ose ainsi dire, que dans les voyages que j’ai faits seul et à pied… Je dispose en maître de la nature entière. » On reconnaît là le fameux passage du Livre IV des Confessions où Rousseau (...)
Un poète dans la tourmente
Aujourd’hui, en ce lieu funèbre, je veux m’efforcer de servir la mémoire d’un poète méconnu qui m’est resté étrangement présent dans le silence mortel qui l’entoure encore. Jamais l’écoute simple, directe, l’articulation à voix haute et nue, des poèmes de Benjamin Fondane n’a été aussi urgente. C’est seulement ainsi que l’on peut mesurer à quel point cette parole nous touche au plus vif, et nous pénètre en profondeur. Elle parle pour nous, elle dit notre destin, et nous rappelle le (...)
« S’il y a un passage, il ne peut pas être visible ».
Dans son ouvrage sur Gustave Roud, Philippe Jaccottet (né en 1925), qui a bien connu le poète à Carrouge, écrit : « Ici, la poésie suit un chemin non pas semblable mais parallèle à celui de la religion, à celui de la philosophie (et voyez que, parmi les rares poètes cités dans l’œuvre, il y a deux saints, François d’Assise et Jean de la Croix ; les autres, Baudelaire, Mallarmé, Rimbaud, Hölderlin, Novalis, étant tous poètes métaphysiques) ; elle jaillit (...)
Peu après l’exposition Soutire, le C.N.A.C. nous propose, avec cette rétrospective Réquichot (1929-1961), le spectacle d’une autre dépossession, plus inexorable et douloureuse encore du fait que la victime semble en avoir été le témoin lucide et sans autres faiblesses – mais sont-ce des faiblesses ? – que le renoncement progressif à soi-même, l’aveu de ce renoncement, le recours à l’impersonnel comme à la pire tentation du désespoir : la solitude essentielle ; l’œuvre maîtrisée jusqu’à ce qu’elle écrase ; (...)
« On croit sentir, on croit comprendre, on croit que l’on dit quelque chose lorsque l’on dit « je pense » ; mais qu’est-ce que « Je » et qu’est-ce que « pense » ? Qu’est-ce que connaître, qu’est- ce que savoir, qu’est-ce qu’être et qu’est-ce que voir ? Qu’est-ce que dire et qu’est-ce qu’entendre ? Ecroulement général du vocabulaire. » (E, p. 123)
Dans un des textes, « Métaplastique », qui composent le recueil d’Ecrits de Bernard Réquichot (E, p. 87), l’auteur conte ses départs dans « les champs en croyant que (...)
Épreuves de la marche : une lecture de Gabriel Josipovici
La tentative de figer le passage apparaît paradoxale, mais pertinente, si bien qu’un Giacometti, capturant la quintessence de ce qui ne vient de nulle part et qui n’ira nulle part, confère à la marche l’image de la suspension. La marche se dérobe à la prison des confins, et l’imperfectif qui la sous-tend fait qu’elle se laisse concevoir avant tout comme irrésolution entre départ et arrivée. Marcher se caractériserait précisément par cette (...)
Apollonios de Rhodes | E.A. Poe | Edmund Spenser | W. Wordsworth | Coleridge| Baudelaire & Mallarmé | Hopkins|Rimbaud & Noël Lee | M. Fardoulis-Lagrange
Apollonios de Rhodes (environ 295-215 avant notre ère), Les Argonautiques (entre 275 et 245 avant notre ère) :
CHANT I
C’est en commençant par toi, Phoibos, que je rappellerai les exploits de ces héros d’autrefois qui, par la bouche du Pont et à travers les Roches Kyanées, sur l’ordre du roi Pélias, menèrent vers la toison d’or la (...)