Variations sur le thème de la cage
Comme l’écrit T.S. Eliot dans les Quatre Quatuors, « Only through time time is conquered », « C’est par la durée seulement que le temps est conquis ». De nombreux poètes voient en effet dans le temps un emprisonnement. Vigny, dont nous parle Yolande Legrand, écrit de la vie dans le Journal d’un poète : « C’est une prison perpétuelle » et ajoute un peu plus loin :
« Il est certain que la Création est une œuvre manquée ou à demi accomplie, et marchant vers sa (...)
Max Weber (1864-1920), à la fin de L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, évoque la « cage d’acier » du capitalisme dans laquelle nous serions peu à peu enfermés. Cette expression fameuse est d’un intérêt exceptionnel pour la pensée de Weber, mais surtout pour le diagnostic que l’on peut poser sur la société dans laquelle nous vivons, la société capitaliste.
Comment traduire « ein stahlhartes Gehäuse » ? Certaines traductions françaises parlent de « cage d’acier », les anglaises de « iron cage ». (...)
Christophe Dejours, Travail, usure mentale. Nouvelle édition augmentée. Paris : Bayard, 2000. Première édition, 1980. Souffrance en France : La banalisation de l’injustice sociale. Paris : Seuil, 1998. M.-A. Roudil, S. Bruneau, Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. Février 2006.
Cet essai, Travail, usure mentale, sous-titré Essai de psychopathologie du travail, de Chrsitophe Dejours, psychiatre, psychanalyste et professeur au Conservatoire national des arts et métiers, (...)
Temporel : Comment en êtes-vous venu à explorer ce domaine de recherche, que vous abordez, semble-t-il à vous lire, avec passion, une véritable passion éthique, serais-je tentée de dire ?
Christophe Dejours : Je peux évoquer là plusieurs raisons conscientes. En premier lieu, un souvenir : à l’âge de dix ans, il m’a été donné de visiter, en Belgique, une raffinerie de sucre. La première chose que j’ai remarquée en entrant, ce sont les odeurs. Et puis j’ai regardé les gars qui travaillaient. Il y avait des (...)
L’artiste de la faim, une esthétique de la négativité
Entretien avec Claude Vigée
Dans un essai paru en 1960 aux éditions Calmann-Lévy et qui a donné son titre au recueil en son entier, Les Artistes de la faim , Claude Vigée compare le poète moderne, en son refus du monde et sa négativité, à l’Artiste de la faim de Kafka : « Le sens de la culpabilité hante nos lettres depuis le romantisme. Cette obsession du péché s’accompagne d’une soif de renoncement aux choses terrestres, d’un désir de libération (...)
[Dans cette correspondance entre Claude Vigée et Albert Camus d’une part, Maurice Blanchot d’autre part, se fait jour avec netteté ce refus du poète de s’enferrer dans l’impasse de « l’artiste de la faim ». Claude Vigée, en plus de l’échange épistolaire, a eu plusieurs conversations avec Albert Camus, entre 1955 et 1959, comme il le relate dans un essai publié dans Le Passage du Vivant et intitulé « La quête de la lumière cachée dans la pensée poétique d’Albert Camus » . Les affinités entre les deux (...)
John Bunyan (1628-1688), pèlerin pour la liberté de l’être
Le chapitre d’Isaïe (53) que Christiane, épouse de Christian, héroïne et héros du Voyage du Pèlerin , demande à son fils Jacques de lire durant leur séjour à l’auberge de Gaius, nom emprunté à l’Epître aux Romains de Paul (16, 23 : Gaius vous salue, qui est mon hôte et celui de l’Eglise entière.) a trait au Sauveur, et donc à la délivrance. Le pèlerinage, modèle de la progression de l’être vers le salut, constitue à sa façon une sortie de (...)
La cage-prison chez Alfred de Vigny
A l’intérieur de la Maison Lazare, « trois larges corridors mal éclairés divisaient chaque étage, coupés eux-mêmes par quarante portes de loges dignes d’enfermer les loups et souvent pénétrées d’une odeur de tanière. » (St., p. 103)
La prison hante l’œuvre d’Alfred de Vigny, qu’il s’agisse de son œuvre romanesque, de son œuvre dramatique ou de son œuvre poétique. Elle apparaît, authentiquement référencée, lorsque notre attention est orientée vers la Bastille, la tour (...)
La nouvelle de Henry James, « In the Cage » (Dans la cage, 1898), débute par ces lignes : « It had occurred to her early that in her position - that of a young person spending, in framed and wired confinement, the life of a guinea-pig or a magpie - she should know a great many persons without their recognizing the acquaintance. » (Il lui était très vite venu à l’esprit que, dans sa situation - celle d’une jeune personne vivant, en réclusion derrière une structure grillagée, la vie d’un cochon d’Inde (...)
THE CAGED SKYLARK
As a dare-gale skylark scanted in a dull cage Man’s mounting spirit in his bone-house, mean house, dwells - That bird beyond the remembering his free fells, This in drudgery, day-labouring-out life’s age.
Though aloft on turf or perch or poor low stage, Both sing sometimes the sweetest, sweetest spells, Yet both droop deadly sometimes in their cells Or wring their barriers in bursts of fear or rage.
Not that the sweet-fowl, song-fowl, needs no rest - Why, (...)
Émancipé du globe des lieux communs, le voyant s’esquive par la tangente sur le globe éprouvé et s’illumine au point d’intersection devenu centre. [...] Les grands poètes d’ici-bas surent à leur minute glorieuse crever le globe usé ; ils ont de leur propre rayon formé cette tangente, et ces tangentes respectives deviennent les diamètres des globes nouveaux où le soleil sacré des poètes maudits redore les cheveux de l’antique Beauté : globe de Verlaine, globe de Rimbaud, globe de Mallarmé.
Prélude à (...)
Claude Vigée traduit de Rilke, « La panthère » « Me récitant à mi-voix, vers trente ans, dans mon exil américain, certains poèmes de jeunesse de Rilke autrefois appris à l’école en Alsace, j’y recueillais une ancienne confidence, restée enfouie en moi-même. Je reconnaissais avec bonheur ces tons un peu tremblés, intimes et voilés, qui m’avaient tant séduit avant guerre, dans l’adolescence.
Je ne me sentais guère capable de les imiter, de les reproduire en français. Mais j’éprouvais le besoin d’y répondre à (...)
En sa monographie sur Rembrandt Bugatti, Edward Horswell cite le poème de Rilke, « La panthère » (1907), à propos de la sculpture du « Jaguar tapi » (1908), œuvre créée au Jardin des Plantes à Paris, que Rilke hantait lui-même quelque temps auparavant. L’animal permet au sculpteur une sorte de projection de son état d’âme : « On peut, selon toute apparence, à peine douter qu’il s’identifiait à ses sujets en captivité, y voyant une image de son isolement émotionnel. » L’artiste libère par là même toute sa (...)
Traduction | [ The short story >article64]
As one reads Katherine Mansfield’s correspondence and notebooks for 1922, it becomes even more clear than in the preceding few years that her dominant concern was not simply to recover her health, but how to evaluate experience, how satisfactorily to define her own reality. As she wrote in a notebook early in February, ‘I must heal my Self before I will be well.’(KMN, 324.) It was a thought constantly with her during a year that took her from (...)
LE CANARI
Quand on lit, pour l’année 1922, la correspondance et les carnets de Katherine Mansfield, il devient plus clair encore que durant les années précédentes que son souci dominant n’était pas simplement de recouvrer la santé, mais d’évaluer l’expérience, de définir de façon satisfaisante sa propre réalité. Comme elle l’écrivait dans un carnet au début de février : « Il me faut guérir mon être avant d’aller bien. » (KMN, 324) Cette pensée ne la quitta pas durant une année où, d’abord en Suisse, elle alla (...)
version originale | version française
... You see that big nail to the right of the front door ? I can scarcely look at it even now and yet I could not bear to take it out. I should like to think it was there always even after my time. I sometimes hear the next people saying, "There must have been a cage hanging from there." And it comforts me ; I feel he is not quite forgotten.
... You cannot imagine how wonderfully he sang. It was not like the singing of other canaries. And that isn’t (...)
Version française | version originale
... Vous voyez ce gros clou à droite de la porte d’entrée ? Encore maintenant, je peux à peine le regarder et pourtant je ne pourrais supporter de l’ôter. J’aimerais penser qu’il demeure là même après moi. J’entends parfois les voisins dire : « On a dû suspendre ici une cage. » Et cela me console ; j’ai l’impression qu’on ne l’a pas complètement oublié.
... Vous ne pouvez imaginer cette merveille qu’était son chant. Il ne ressemblait pas à celui des autres canaris. Il ne (...)
The Wounded Bird
In the wide bed Under the green embroidered quilt With flowers and leaves always in soft motion She is like a wounded bird resting on a pool.
The hunter threw his dart And hit her breast, Hit her but did not kill. Oh, my wings, lift me - lift me I am not dreadfully hurt ! Down she dropped and was still.
Kind people come to the edge of the pool with baskets `Of course what the poor bird wants is plenty of food !’ Their bags and pockets are crammed almost to bursting (...)
« Un poète français qui écrit en anglais » selon la jolie formule de Philipe Soupault, Gascoyne se distingue des poètes anglais de sa génération - celle des années trente - à peine plus âgés que lui - par sa participation au mouvement surréaliste français dont il a appliqué le principe d’écriture automatique dans son second volume de poèmes, Man‘s Life is this Meat paru en 1936 ; il traduit alors plusieurs des poètes fréquentés à Paris au début de la décennie, présente le mouvement en 1935 dans A Short (...)
Le hasard a voulu que, presque le jour même où le Secrétaire-Général chargé de l’organisation du Troisième Festival Européen de Poésie m’écrivait pour m’inviter à participer à ce dernier, en lui envoyant au préalable, avec quelques-uns de mes poèmes, quelques pages sur le thème « Le Poète et la Ville », un groupe de jeunes, en relation, avec la London School of Contemporary Dance, présentait à la scène une version chorégraphique d’un « poème radiophonique » intitulé Night Thoughts, que j’avais écrit en 1954 et (...)
Quête de la vision libératrice dans la poésie de Ruth Fainlight
For I saw with my own eyes the Sibyl of Cumae hanging in a cage and the boys were talking to her ‘What do you want Sibyl’, she answered ‘I want to die’ Epigraphe de “The Waste Land” de T.S Eliot.
Je me libère par le langage, Je m’évade par le discours, Qui n’a pas de dimensions, N’exige pas de (...)
On trouve quelques cages dans la poésie de Vincent O’Sullivan, comme celle dans laquelle le « Maestro » s’enferme avec ses tigres pour un exploit qui, s’accumulant dans le temps sans autre perspective que la répétition, devient absurde de ce fait. La cage signifie alors enfermement dans une activité quantifiable dont on ne peut rendre compte qu’au moyen de formules comptables : « 3 times a day below the casino he glints in the caged circle ... 3x8, including Sundays, 168 weekly hairbreadths with (...)
Sur la poétique de Claude Vigée
A Katherine
Article intégral. Traduit de l’allemand par Andrée Lerousseau - Université Charles-De-Gaulle Lille 3)
I.
Il n’est pas facile de se faire une image de Claude Vigée. Un Allemand verra d’abord en lui l’écrivain sans doute le plus important de l’Alsace contemporaine. Les honneurs qui lui furent alloués en Allemagne sont avant tout une reconnaissance de la place qu’il occupe dans la littérature alsacienne. Il ne s’agit là toutefois que d’un aspect de son (...)