« Mes caresses sont connaissances. »
Paul Valéry, Cahiers, 1921.
Comme il en est de chacun de nos thèmes, le sujet est vaste et nous ne l’épuiserons pas. Nous pouvons toutefois distinguer deux grands axes : la main comme moyen d’appréhension d’une connaissance nouvelle qui mène l’être vers l’unité, d’où il s’ensuit que, détachée, clivée, autonome, elle manifeste son impuissance face à ce qui, en lui, lui échappe. C’est tout l’un ou tout l’autre : ou bien la main pénètre l’intériorité, par « le tact (...)
Lorsque le protagoniste de A la recherche du temps perdu pénètre pour la première fois dans l’atelier du grand peintre Elstir, il lui semble, écrit Proust, entrer « dans le laboratoire d’une sorte de nouvelle création du monde, où du chaos sont toutes choses que nous voyons, il avait tiré des toiles [...] dont le charme consistait en une sorte de métamorphose des choses représentées, analogue à celle qu’en poésie on nomme métaphore, et que, si Dieu le Père avait créé les choses en les nommant, c’est en (...)
Michel Henry, Entretiens. Arles : Sulliver, 2005.
Auto-donation : Entretiens et conférences. Paris : Beauchesne, 2004.
Ces deux ouvrages offrent une belle introduction à l’œuvre de Michel Henry, tout en confortant dans son approche le non philosophe qui s’était un jour, de façon téméraire, attaqué aux ouvrages ardus que sont Philosophie et phénoménologie du corps (1965), C’est moi la Vérité (1996) ou Incarnation (2000), entre autres. Ces entretiens et conférences, en langage plus direct, (...)
Jamais un poète ne parle des ses pieds, affirme, un brin provocatrice, l’écrivain et essayiste Régine Detambel : « il ne parle que de ses ailes ». La boutade ne convainc qu’à moitié. C’est oublier la parenté profonde entre rythme et démarche, l’allure d’un poème n’étant jamais que l’expression diversement pondérée du rapport entre le mètre, le vers, et la distance franchie par un poète qui marche, ne fût-ce que mentalement, dans sa tête. La chose est établie, par exemple pour William Wordsworth, comme elle (...)
Le phénomène et la chose en soi :
que dit la main de gloire, d’écorché, embaumée ?
Nerval, Maupassant et Verlaine
La conscience classique est une représentation, elle présente devant et elle fait voir de cette façon mais, dès que le soupçon se fit jour avec Schopenhauer et avec Freud que tout ne se réduit pas à cet être-représenté, au fait d’être représenté, alors la pensée de l’Occident ne connaît plus de phénoménalité, elle s’en remet à l’inconscient. Et par conséquent, lorsque par hasard la philosophie (...)
Akira Kurosawa, Yojimbo / Le garde du corps, 1961 :
la main de l’authenticité face à la modernité de l’objet.
Rappelons rapidement l’intrigue. Sanjuro, samouraï en rupture de ban, qu’incarne le grand acteur Toshiro Mifune, vend ses services au plus offrant dans un village où deux clans, tous deux méchants, se livrent à une lutte à mort, dans laquelle le bien n’a aucune place. Mifune-Sanjuro, l’étranger, devient bien vite arbitre de ce conflit entre le mal et le mal, sur lequel il pose un regard (...)
Stéphane Mallarmé (1842-1898)
« Aussi ces affections multiples dont la résultante commune est la vie physique ne se réfléchissent-elles point dans le sens interne. L’espèce de tact immédiat qui les saisit, ou les devient, n’est point la conscience ; car il ne se sait pas, ne s’éclaire pas lui-même, et pendant que ses modifications varient sans cesse, il y a quelqu’un qui reste et qui le sait. Le premier est aux affections immédiates de l’âme sensitive ce que le second est aux idées ou opérations de (...)
Chez Gustave Roud (1897-1976), la main est le signe de l’incarnation, du lien indissoluble de l’être, du mot et du monde. Elle va plus loin que le regard dans l’intimité de la subjectivité et accomplit ce que voulait atteindre le rythme de la marche.
« Cette épaule où parfois ma main se posait, c’est la seule terre humaine où je touche, mon seul port ici-bas. »
(Campagne perdue, p. 104)
J’espère donner à nos lecteurs le goût de se plonger dans la lecture de ce très grand poète de Suisse romande en (...)
« Darkness palpable », ténèbres palpables,
ou le puits de l’être.
D.H. Lawrence (1885-1930), « The Blind Man » / « L’aveugle ». And then within the night where nothing is,
And I am only next to nothingness,
Touch me, oh touch me, give me destinies
By touch, and a new nakedness.
D.H. Lawrence, “The Resurrection of the Flesh”
Complete Poems, p. 738.
(Et puis au sein de la nuit du rien,
Où je ne fais qu’effleurer ce vide,
Touche-moi, oh touche-moi, donne-moi par le (...)
« Le bon temps d’avoir vécu » :
Blaise Cendrars : La main coupée
Dans ce livre, La main coupée, écrit à la fin de la Seconde Guerre mondiale et publié en 1946, Blaise Cendrars, de son vrai nom Frédéric Louis Sauser (1887-1961), raconte ses souvenirs de la Première Guerre mondiale. Bien que suisse (né à La Chaux-de-Fonds), il s’engage comme volontaire dans l’armée française. « Comme si la place d’un poète n’est pas parmi les hommes, ses frères, quand cela va mal et que tout croule, l’humanité, la (...)
The Hand
It was a hand. God looked at it and looked away. There was a coldness about his heart, as though the hand clasped it. As at the end of a dark tunnel, he saw cities the hand would build, engines that it would raze them with. His sight dimmed. Tempted to undo the joints of the fingers, he picked it up. But the hand wrestled with him. ‘Tell me your name,’ it cried, ‘and I will write it in bright gold. Are there not deeds to be done, children to make, poems to be written ? The world is (...)
THE HAND THAT SIGNED THE PAPER
The hand that signed the paper felled a city ; Five sovereign fingers taxed the breath, Doubled the globe of dead and halved a country ; These five kings did a king to death.
The mighty hand leads to a sloping shoulder, The finger joints are cramped with chalk ; A goose’s quill has put an end to murder That put an end to talk.
The hand that signed the treaty bred a fever, And famine grew, and locusts came ; Great is the hand that holds dominion over Man by a (...)
LA MAIN DE CLAUDE
Claude Esteban a évoqué à plusieurs reprises, et notamment dans Le Partage des mots, le trouble dans lequel l’aura longtemps plongé la dualité des idiomes, français et espagnol, qui loin de vivre en harmonie, se combattaient en lui, ébranlant les assises de sa présence au monde. La poésie fut d’abord pour lui l’expérience harassante d’un rapport instable avec les mots, comme s’il lui fallait traverser un gué en assurant chaque fois son pas sur une pierre branlante. Au départ, sa parole (...)
Dans un numéro précédent, nous avions souligné l’importance de la main chez ce poète néo-zélandais spécialiste de Katherine Mansfield. Ce poème vient ici nous rappeler qu’elle est présence.
Just being here
It has to be a thin world surely if you ask an emblem at every turn, if you can’t see bees arcing and mining the soft decaying galaxies of the laden apricot tree without wanting symbols – which of course are manifold – symbols of so much else ? What’s wrong with the huddle and glut of bees, with (...)
La main invisible du marché
La théorie d’Adam Smith est souvent résumée par l’étrange image d’une « main » qui harmoniserait les intérêts personnels de sorte à créer la plus grande prospérité pour tous. C’est le thème fameux de la « main invisible ». Que signifie exactement cette curieuse métaphore ? Mais d’abord, est-on sûr qu’elle est une création du philosophe et économiste écossais ?
L’idée selon laquelle les intérêts s’harmonisent d’eux-mêmes sur le marché est loin d’appartenir en propre à Adam Smith. (...)
L’homme se réfère sans cesse à la multiplicité de tâches ou d’actions qu’il entreprend grâce à ses mains, en élabore des stratégies ou s’en remet à la main de Dieu. La symbolique de la main est ainsi très riche, allant du contact primordial : le toucher du nouveau né qui s’ouvre à la vie, à celle de l’homme qui écrit, qui tend la main à ses semblables, se distinguant ainsi du monde animal ou encore d’un statut d’appendice du cerveau ou de la pensée, jusqu’à incarner le mystère de la manifestation.
Cependant, en (...)
Visite d’atelier : Devorah Boxer
diaporama sonore
En cette fin de février, nous nous rendons dans le quartier du Montparnasse, au fond d’une impasse aux allures de vieux Paris, si ce n’était la silhouette de la tour, qui surplombe, écrasante, ces immeubles anciens, à la façade claire et ne dépassant pas les trois étages. Nous pénétrons dans une cour ornée de plantes, très calme – aspect qui nous séduit toujours, nous qui avons choisi pour y vivre la tranquillité de la campagne, à proximité de Paris. Nous (...)